ACTA Gironde – Antispécisme, Véganisme et Droits des Animaux

Rencontre avec Frédo Douchet, responsable du cirque Nicolas Zavatta-Douchet (invité par le cirque Médrano au Bouscat), le 6 janvier 2019

Dimanche 6 janvier, pendant notre troisième manifestation devant l’Hippodrome du Bouscat où se produisait le cirque Médrano comme chaque année depuis le mois de décembre, un représentant du cirque est venu parler avec nous avant de proposer à trois d’entre nous de leur faire visiter les lieux pour leur montrer les conditions de vie des animaux et la conformité à la règlementation. Fredo Douchet est le responsable du cirque Nicolas Zavatta-Douchet, acrobate et ancien dresseur (son frère est actuellement en charge des animaux).

La visite a été en partie filmée par Cyril Jailly, que nous remercions pour les vidéos. S’il est resté clair au fil de la visite et des discussions qui ont suivi que nos positions sont incompatibles, cette rencontre a eu le mérite de permettre le dialogue et de clarifier les points de désaccord.

Règlementation et santé des animaux

Fredo Douchet parle ici du « bien-être animal », pour lequel les cirques ont besoin d’argent, afin de pouvoir mettre en place des infrastructures mieux adaptées qu’elles l’étaient par le passé. Depuis 2013, la réglementation française applique l’arrêté du 18/03/2011, sur lequel vous pouvez trouver des détails dans le Guide de Code Animal (2015). Il s’agit effectivement de l’une des réglementations les plus contraignantes dans le monde (avec des règles concernant les espèces autorisées, la taille et le contenu des cages, les soins vétérinaires, etc.).

Mais cela reste insuffisant pour nous, dans le sens où cette réglementation autorise la captivité et l’exploitation des animaux, n’y apposant que des conditions. La réglementation, quelles que soient les contraintes qu’elle impose, est souvent invoquée par les acteurs de l’exploitation animale pour rassurer le public : « tout va bien, nous sommes en conformité avec la loi ». Mais le fait qu’une pratique soit réglementée et légale ne la rend pas juste pour autant. Si l’on avait posé la question aux professionnels du cirque il y a 20 ans, ils auraient certainement jugé que la réglementation en vigueur était tout à fait suffisante et que leurs animaux étaient en bonne santé et bien traités.

Fredo Douchet affirme dans la troisième vidéo que la plupart des vidéos que l’on voit sur Internet sont tournées à l’étranger, dans des cirques n’ayant pas une réglementation aussi dure qu’en France. Certaines vidéos qui ont beaucoup tourné sur les réseaux sociaux viennent en effet d’autres pays : pour exemple, la tigresse prise de convulsions pendant un spectacle, ayant fait le tour des médias et des réseaux sociaux à l’automne dernier, est en effet captive d’un cirque russe – et les raisons de ces convulsions ne sont pas déterminées à notre connaissance.

L’ensemble des vidéos diffusées par Code Animal ainsi que par One Voice sont en revanche bien tournées dans des cirques français. Si ce qu’on y voit est peut-être moins impressionnant qu’une crise d’épilepsie en direct devant les spectateurs, ces vidéos n’en révèlent pas moins une réalité qui existe en France. La mort de la tigresse Mévy, tuée par son propriétaire il y a un peu plus d’un an, est, elle aussi, arrivée en France. S’il ne faut pas croire que chacune des vidéos révèle une situation générale des animaux dans les cirques, il n’en reste pas moins que même pour ceux qui ne voient pas le problème avec la captivité, il reste de nombreux problèmes en France, malgré la réglementation, qui a de toute façon bien du mal à se faire respecter, notamment parce que les cirques français ne sont contrôlés en moyenne que tous les deux ans.

Reste l’idée que les cirques veulent de beaux animaux qui apparaissent en bonne santé, pour que le public veuille bien venir et revenir. Cet argument est crédible, mais ne concerne que l’apparence extérieure des animaux pendant la période où ils sont donnés à la vue du public. Nous avons peu de doutes concernant le fait que la santé physique de la plupart des animaux puisse être respectée dans les cirques qui s’en donnent les moyens. Mais rappelons que dans le cas des éléphantes, par exemple, leurs pieds se déforment souvent dans les cirques et les zoos à cause de l’impossibilité de se déplacer sur de très longues distances (Bechert, Csuti & Sargent 2008). De plus, l’apparence et la santé physique ne présument pas de la santé mentale des animaux.

En effet, la captivité elle-même est inadaptée aux animaux, sauvages ou domestiques, quels qu’en soient les aménagements (taille des cages, équipements pour s’amuser, etc.). Elle génère une frustration chez les animaux, qui ne peuvent pas chercher ou chasser leur propre nourriture, se déplacer librement, marquer leur territoire, ni même gérer l’organisation de leur propre journée. D’après les travaux en éthologie, cette frustration est une des causes majeures de l’apparition de stéréotypies chez les animaux : éléphants qui se balancent, chevaux qui lèchent les parois de leur cage, félins qui tournent en rond en posant leurs pattes toujours au même endroit, etc.

Les professionnels du cirque remettent souvent en cause l’existence des stéréotypies (Gilbert Grüss disait par exemple en 2014 qu’un éléphant se balance constamment dans la nature) ou leur interprétation comme une marque de mal-être. C’était notamment le cas de Fredo Douchet lors des discussions qui ont suivi la visite : vu qu’il a passé ses journées et sa vie au contact des animaux dans les cirques, il supposait comprendre leur comportement mieux que les éthologues.

Compilation d’images d’animaux souffrant de la captivité, manifestant des stéréotypies, par Code Animal en 2018

Or les éthologues eux aussi ont observé les animaux directement dans les cirques, les zoos, les laboratoires et les élevages, ainsi que dans la nature, afin de comparer leurs comportements et de mieux comprendre en quoi ils pouvaient être associés à un mal-être psychologique. Les stéréotypies semblent bien apparaitre dans des populations d’animaux captifs, servant peut-être à réduire leur mal-être – en fait, Mason & Rushen (2006, p. 344) estiment que des animaux présentant des stéréotypies dans un milieu se sentent généralement « moins mal » que les autres animaux de ce même milieu.

Dressage

Pour Fredo Douchet, le dressage (qu’il préfère appeler « éducation ») est une histoire de respect : si l’on maltraite un animal, on ne pourrait pas le caresser après, encore moins lui faire faire des tours. Il s’agit là soit de mauvaise foi, soit d’une méconnaissance complète des mécanismes d’attachement et d’apprentissage des animaux. Les témoignages d’anciens dresseurs rappellent par l’exemple l’usage de l’ankus pour dresser les éléphants ou de bâtons pointus pour faire danser les ours. La violence n’est peut-être pas systématiquement nécessaire (et des méthodes non-violentes peuvent s’y ajouter, ou peut-être s’y substituer, telles que le fait de jouer avec les animaux enfants pour leur montrer ce qu’on attend d’eux, comme le raconte Fredo Douchet ici). Mais c’est en tout cas une méthode possible et largement utilisée pour soumettre l’animal à ce que veut le dresseur.

Par ailleurs, dans une discussion que l’on ne voit pas sur cette vidéo, Fredo Douchet mentionne les dés de viande donnés comme récompense aux fauves quand ils font bien le travail (et pour les nourrir en général). Le cirque aurait sur place « entre 1,5 et 2 tonnes de viande » pour les fauves – en l’occurrence il s’agissait de poulets. Des poulets qui ont donc été élevés et tués pour être donnés à manger à des fauves qui sont gardés en captivité pour leur faire faire des spectacles. Dans la nature, les fauves chassent. Nous n’y pouvons rien. Mais si l’on choisit de faire naître des fauves en captivité (les cirques rappelant régulièrement que leurs fauves sont nés en captivité depuis plusieurs générations), alors on devient responsable non seulement de la captivité de ces animaux, mais aussi de ce qu’elle implique pour d’autres animaux, qu’on ne verra bien sûr jamais sur les pistes puisqu’ils sont simplement considérés comme de la nourriture.

Laïka, Ramsès et Koumaï

Koumaï n’a pas l’air prostré, ne présente pas de stéréotypies (au moment de la vidéo en tout cas) et joue dans sa cage. Dans la nature, les tigreaux restent avec leur mère jusqu’à leur maturité sexuelle. On ne sait pas ici dans quelle mesure il peut avoir des contacts avec sa mère. De plus, Koumaï est un tigre blanc. Les tigres blancs sont plutôt rares dans la nature, parce qu’ils résultent de l’union de deux tigres portant la variation d’un gène particulier codant pour la couleur de la fourrure. La multiplication des tigres blancs semble avoir commencé en 1951 avec la capture d’un de ces tigres par le Maharaja de Rewa qui en a fait un élevage (Guillery, R. W., & Kaas, J. H. 1973). Cet élevage a commencé avec l’accouplement de ce tigre blanc avec sa fille (rousse, mais porteuse du gène responsable de la coloration blanche), et continué avec le développement d’une forte consanguinité, seul moyen pratique d’obtenir des tigres blancs – d’où la position émise par l’Association Américaine des Zoos en 2011, qui souhaite interdire la reproduction sélective d’espèces selon des caractères génétiques récessifs.

Laïka a apparemment « du caractère ». Pourquoi ? Parce que dès que la porte de son box est ouverte, elle sort et ne revient pas quand on l’appelle. Ce que l’on voit dans la vidéo, c’est que Fredo Douchet la ramène de force en lui enserrant le cou. Une fois Laïka rentrée dans son box, on voit Ramsès remuer ses joues et remplir sa bouche puis remuer la tête en crachant sur Fredo Douchet. Les chameaux ne crachent pas par plaisir ou par jeu, mais quand ils se sentent menacés ou énervés (de plus, il ne s’agit pas uniquement de salive, mais d’une mixture de leur salive avec le contenu de leur estomac, régurgité pour l’occasion). Difficile de ne pas comprendre en quoi Laïka et Ramsès pourraient être frustrés dans cette situation. La taille des box est probablement règlementaire, mais cela montre encore les limites de la réglementation, quand deux chameaux peuvent à peine se retourner dans leur box, dont on voit bien sur la vidéo qu’il ne s’agit pas d’un camion, donc pas simplement d’un espace réduit pour le transport.

En guise de conclusion, un petit rappel

Généralement, quand on entend parler de « bien-être » des animaux et de réglementation, il s’agit d’une manière de dire que les animaux captifs ne sont pas maltraités, c’est-à-dire pas battus, pas privés de nourriture, pas en mauvaise santé physique. Il est envisageable que certains cirques ne soient pas maltraitants avec les animaux si l’on ne garde que ces critères pour leur bien-être.

ACTA, dans la lignée abolitionniste, ne demande pas un meilleur traitement des animaux, de plus grandes cages contenant de quoi s’amuser un peu, mais une libération des animaux, une interdiction de leur captivité, pour toutes les raisons évoquées ici. Nous ne sommes pas « anti-cirques », comme Fredo Douchet l’a suggéré dans une discussion que l’on ne voit pas sur les vidéos et comme on entend parfois. Nous voulons des cirques sans exploitation des animaux, des cirques dans lesquels des acrobates, des jongleurs, des clowns et autres artistes consentants, nous fassent rêver.

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