Samedi 19 janvier, la veille de notre première manifestation de cette année face au cirque Arlette Grüss, Yannick Delneste, journaliste chez Sud-Ouest nous a proposé de rencontrer les représentants du cirque pour échanger sur nos positions respectives. Cette rencontre a donné lieu à un article dans l’édition de Sud-Ouest du 22 janvier. L’article en lui-même est déjà parlant, mais comme tout article, il est limité par les contraintes éditoriales. Aussi il nous a semblé important de préciser certaines des choses qui ont été évoquées le samedi 19 janvier et qui n’ont pas pu apparaitre dans l’article. Nous avons d’abord rencontré Georgika Kobann, co-fondateur du cirque, accompagné de Gilbert Grüss et d’autres employés du cirque présents dans la caravane de G.Kobann.
L’un des points centraux de son argumentation a bien entendu été la réglementation, plus dure en France que dans la plupart des pays du monde. D’ailleurs, G.Kobann lui-même aurait participé à élaborer la réglementation appliquée depuis 2013. Il semblait pourtant déjà penser, il y a dix ans, que la loi était suffisante : « la législation sur les conditions de vie des animaux est très rigoureuse et nous la respectons » (France 24, 2009). Nous lui avons demandé avant de le quitter s’il pensait que la loi telle qu’elle existe aujourd’hui est suffisante. Après une première esquive de la question en répétant que la loi est très stricte en France, il a répondu à notre insistance en disant qu’il y aurait certainement des points à améliorer, mais que cela prendrait trop longtemps d’en parler (c’est en tout cas ce que nous avons compris sur le moment, puisqu’il avait clairement envie d’arrêter là la conversation).
De notre côté, nous avons souligné l’incohérence de leurs annonces avec la réalité de leurs spectacles. D’abord, les manchots présentés dans les spectacles cette année étaient (et sont encore aujourd’hui, malgré nos sollicitations) appelés sur le site web d’Arlette Grüss des « pingouins ». Leur explication sur place : dans certaines langues, il n’y aurait pas deux mots différents pour distinguer ces deux espèces. En fait, la majorité du public français ne connait pas la différence entre manchot et pingouin, et le terme « pingouin » est le plus couramment utilisé pour désigner les deux espèces. Leur refus de changer l’inscription sur leur site web et leur appel à des langues autres que le français nous fait penser qu’il s’agit donc simplement d’une stratégie de communication, aux dépens de l’information que pourrait recevoir le public concernant ces oiseaux : pingouins et manchots n’ont en commun que d’être des oiseaux noirs et blancs – les pingouins volent et vivent dans l’Arctique, les manchots ne peuvent pas voler et vivent en Antarctique.
Ensuite, jusqu’à notre rencontre avec eux, leur site web annonçait pour la tournée 2019 l’absence des animaux sauvages dans leur spectacle. Les otaries et les manchots de la famille Pedersen seraient-ils des animaux domestiques ? Ils ont d’abord refusé de nous croire, jusqu’à ce que nous les guidions sur leur site pour constater que la formulation était bien celle-là. Elle a été changée l’après-midi même pour mentionner les animaux présents et l’absence de fauves et d’éléphantes. Mais le public avait déjà été mal informé, et certaines personnes croyaient même qu’il n’y avait pas du tout d’animaux chez Arlette Grüss cette année.
Il faut dire que pour G.Kobann, les animaux présents dans les cirques ne sont pas des animaux sauvages, puisqu’ils ont été reproduits en captivité depuis 50 ans (ou depuis 5 ou 6 générations). Il semblait croire que 5 ou 6 générations suffisaient à changer les besoins fondamentaux d’animaux sauvages, alors même que les animaux domestiqués depuis plusieurs milliers d’années souffrent eux aussi de la captivité (Mason & Rushen 2006). L’évolution d’une espèce ne fonctionne pas de cette manière – d’autant plus que la sélection naturelle est très réduite en captivité, et que nous serions certainement au courant d’un effort des circassiens pour ne faire se reproduire que les animaux les moins sensibles aux effets délétères de la captivité.
Mais pour G.Kobann, c’est comme si les stéréotypies n’existaient pas, puisque les éthologues n’y connaissent rien, par rapport à lui qui a une expérience de 50 ans de travail avec les animaux. Et les numéros sont basés sur ce que les animaux savent faire naturellement : les éléphants se lèvent sur les pattes arrière pour attraper les feuilles dans les arbres, après tout ! Et le poirier ? Oui, oui, les éléphants font le poirier ! Pour pousser des objets qui sont devant eux avec la tête ou la trompe, par exemple, ce qu’a pu nous confirmer quelqu’un ayant travaillé longtemps avec des éléphants au Laos (bien que nous n’ayons pas trouvé d’images y correspondant). Sauf que ce « poirier », fait plus ou moins naturellement par des éléphants, ressemble au poirier que pourrait tenter de faire un enfant de 4 ans plutôt qu’à ce que les cirques entrainent les éléphants à faire. Que des humain·es entrainent leur corps à se dépasser, le malmenant quitte à parfois le rendre plus fragile pour la suite de leur vie, c’est une chose. Que ces gens gardent des animaux en captivité et les obligent à développer des pratiques délétères pour leur corps, c’est tout autre chose.
L’intérêt de G.Kobann pour les animaux semblait pourtant bien honnête et il était capable de citer apparemment par cœur les chiffres concernant le braconnage en Afrique et les abandons d’animaux domestiques. Le problème est arrivé quand il a mentionné les élevages d’Afrique du Sud pour la « chasse en boîte ». Frédéric Edelstein, dresseur responsable du cirque Pinder, a acheté ses lions blancs dans un tel élevage (La Manche Libre, 2015). Pour lui comme pour G.Kobann, il a donc sauvé ces lions. Mais il les a achetés – il a donc bien participé à la prospérité de l’élevage en question.
Enfin, les alternatives ne convainquent pas G.Kobann non plus. Pour lui, le Cirque du Soleil, par exemple, est en lien avec la Scientologie (ce dont nous n’avons pas pu trouver la moindre trace ni la moindre rumeur sur Internet). L’équipe d’Elephant Haven, sanctuaire pour éléphants dont la construction sera bientôt achevée dans le Parc Naturel Régional du Périgord Nord en Limousin, est incapable de s’occuper d’éléphants puisque ce sont des associatifs qui n’y connaissent rien. L’équipe est pourtant constituée de deux vétérinaires spécialisés dans les éléphants et de onze experts internationaux spécialisés dans le bien-être et le soin des éléphants. L’un des membres du bureau a travaillé 20 ans dans un zoo, dont 15 ans à temps complet avec les éléphants – il est d’ailleurs titulaire du fameux « certificat de capacité » souvent mentionné par les circassiens. Mais la diffamation sur ces structures, face à notre incertitude sur le sujet au moment de la rencontre, a apparemment semblé être une méthode acceptable pour G.Kobann.
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