ACTA Gironde – Antispécisme, Véganisme et Droits des Animaux

Les arguments « scientifiques » des gens du cirque

Entre deux accusations de racisme, d’ignorance ou de liberticide, les défenseurs de l’exploitation des animaux par les cirques tentent parfois de justifier celle-ci par des arguments qu’ils jugent scientifiques.

Les vétérinaires

Ils mentionnent l’avis des vétérinaires « spécialisés » – c’est-à-dire de vétérinaires travaillant pour les cirques. Florence Ollivet-Courtois a été vétérinaire dans des cirques et des zoos, s’étant spécialisée dans les soins aux animaux sauvages. Michel Klein a participé aux soins de nombreux animaux sauvages dans les cirques et zoos. Bruno Kupfer a travaillé pour Arlette Grüss et pour la famille Bouglione. Aucun n’a mené ni publié de recherches scientifiques concernant les animaux dans les cirques. Ils s’appuient donc, lorsqu’ils soutiennent les cirques avec animaux, uniquement sur leur expérience personnelle dans les cirques, laissant de côté la littérature scientifique.

Bruno Kupfer et Florence Ollivet-Courtois sont par ailleurs co-signataires d’une tribune (la Dépêche Vétérinaire 2018) où ils affirment que « la volonté abolitionniste de certains est liée à leur conviction d’une maltraitance obligatoirement associée à l’apprentissage du spectacle » et « le devenir de ces animaux, si l’interdiction de leur présence dans les spectacles intervenait, ne semble guère préoccuper les militants de l’interdiction ». Ces deux vétérinaires n’ont apparemment pas pris le temps de parler avec les associations militantes, qui les aurait orientés vers les informations scientifiques sur les effets de la captivité chez les animaux et vers les sites web des sanctuaires et autres refuges adaptés pour recevoir les animaux de cirque (en Nouvelle-Aquitaine, Elephant Haven, sanctuaire créé en partenariat avec notamment One Voice et la fondation Brigitte Bardot, accueillera bientôt ses premières éléphantes), tout en sachant que la réintroduction dans la nature est parfois, voire souvent, possible (Soorae 2013).

Les chercheurs

On voit aussi revenir le nom de Marthe Kiley-Worthington, éthologue ayant réalisé en 1990 un rapport sur le bien-être des animaux dans les cirques à la demande de la RSPCA anglaise (société de protection des animaux), qu’elle a ensuite auto-publié avec le soutien financier de l’Association des Propriétaires de Cirques (ACP) (Kiley-Worthington 1990). Elle y conclut que s’il existait des problèmes de bien-être dans certains cirques, il ne fallait pas pour autant bannir l’utilisation des animaux par les cirques. Worthington est spécialiste des chevaux, des animaux d’élevage et de l’agriculture biologique. Aucune publication scientifique de sa part ne s’intéresse aux animaux dans les cirques.

Enfin, on entend régulièrement chez les gens défendant le cirque le nom d’Immanuel Birmelin, « fameux » biologiste comportementaliste allemand… dont les seules affiliations semblent être une des sociétés vétérinaires allemandes (non affiliée à la Fédération des Vétérinaires d’Europe) ainsi qu’une association que lui-même a fondée en 2007. Sa seule publication notable recensée par la BnF est un livre sur les cochons d’Inde. En 2011, il a présenté lors d’un symposium ses observations concernant la mesure du taux de cortisol dans la salive de trois éléphantes d’Afrique détenue par un cirque, dans leur enclos ainsi qu’avant et après un long transport. Les actes de la conférence contiennent seulement un résumé d’un paragraphe concernant cette recherche (Birmelin 2011:31), qui n’a jamais été publiée par ailleurs. Dans ce résumé, on apprend que le taux de cortisol étant similaire avant et après le transport, le transport ne serait pas stressant pour les éléphantes. On apprend aussi que Birmelin a comparé les données sur le cortisol de ces trois éléphantes dans leur enclos avec des données provenant d’une étude sur le stress d’éléphants d’Asie dans un zoo (Menargues et al. 2008), alors que cette étude concluait justement à un effet néfaste de la présence des spectateurs lorsque le zoo était ouvert. En 2013, il a observé les comportements de quatre lions ainsi que la concentration de cortisol dans leur salive avant et après le transport, portant les mêmes conclusions (Birmelin 2013). Dans les deux cas, aucune mesure de cortisol salivaire pendant le transport, ni pendant le dressage, ni pendant le spectacle. Aucune discussion scientifique disponible, notamment pour remarquer que trois éléphantes et quatre lions constituent un échantillon tout à fait insuffisant pour porter la moindre conclusion.

La réalité

Un rapport commandé plus récemment par le gouvernement gallois (Dorning, Harris & Pickett 2016), avec un questionnaire adressé à environ 600 personnes (avec une centaine de répondants) et une très large revue de la littérature scientifique, a révélé notamment que les opinions des gens du cirque dans le monde ne collent pas avec celles des experts scientifiques concernant l’impact du dressage et de la captivité sur le bien-être des animaux. Les gens du cirque croyaient notamment que le dressage (ou entrainement) améliorait le bien-être des animaux en leur permettant d’avoir une activité physique et mentale intéressante – tandis que les experts (éthologues et vétérinaires) et la revue de la littérature tendait plutôt à dire qu’une fois le comportement appris, les séances programmées d’entrainement pour les spectacles, et les spectacles eux-mêmes, étaient trop rébarbatifs pour apporter un bénéfice pour le bien-être des animaux. Les gens du cirque croyaient également que le transport n’était pas gênant pour les animaux, qui y étaient habitués – tandis que les experts soulignaient plutôt que les animaux ne s’habituaient jamais complètement au transport (même parmi les animaux domestiques). En fait, ce rapport conclut que « les installations pour les animaux sauvages dans les cirques itinérants et les zoos mobiles sont fondées sur ce qu’ils peuvent tolérer plutôt que sur leurs besoins ; cela a un effet négatif significatif sur tous les aspects de leur bien-être. Dans notre panorama des besoins des animaux sauvages, nous avons vu que les cinq ‘libertés’ [de nourriture, de confort, de santé, de comportement et de sérénité] étaient compromises dans les cirques itinérants et les zoos mobiles ».

Cela confirme la position de la Fédération des Vétérinaires d’Europe (FVE 2015), qui « recommande donc à toutes les autorités compétentes européennes et nationales d’interdire  l’utilisation  de  mammifères  sauvages  dans  les  cirques  itinérants  dans  toute l’Europe, compte tenu de l’impossibilité absolue de répondre de façon adéquate à leurs besoins  physiologiques,  mentaux  et  sociaux ». Cette position résulte d’une revue de la littérature débutée en 2012 par des experts, suivie de consultations avec des représentants des cirques et des associations membres de la FVE, avant d’être adoptée lors de l’Assemblée Générale de la FVE en 2015.

Quoi qu’ai pu en dire Ghislaine Jançon (Libération 2017), l’Ordre des Vétérinaires de France, en tant que cosignataire de cette avis, adhère donc officiellement à cette recommandation d’interdire la présence de tous les mammifères sauvages dans tous les cirques itinérants, comme l’avait déjà analysé Jean-Paul Richier (Mediapart 2017).

En octobre 2018, la FVE affirme encore sa position en inscrivant explicitement sur son site web les mêmes recommandations pour les autorités européennes et les mêmes constats vis-à-vis du bien-être des animaux dans les cirques (FVE 2018).

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