ACTA Gironde – Antispécisme, Véganisme et Droits des Animaux

Colonialisme et exotisme
une petite histoire des zoos…

En cette période de confinement, il peut être bon de rappeler que si notre assignation à domicile est plutôt relative et prendra fin assez rapidement, d’autres animaux n’ont pas cette chance et passent leur vie en captivité. C’est le cas dans certains cirques, dans les élevages, dans les centres équestres, dans les laboratoires… mais aussi dans les zoos, sujet que nous avons rarement abordé et qui mérite d’être discuté.

Ce billet est le premier d’une série qui s’intéressera à diverses problématiques liées aux zoos : justifications par les aspects éducatifs et scientifiques, par le divertissement, par la préservation des espèces, « bien-être », abattages, réintroductions dans la nature, mais aussi alternatives et futur des zoos. Si vous vous intéressez à ce sujet, vous pouvez d’ores et déjà consulter le site qu’y dédie l’association Code Animal pour plus d’informations.

« À l’image de celle de la corrida, l’histoire des zoos est largement le produit de ce que Nigel Rothfels a appelé l’ ‘histoire officielle’, bâtie par ses propres acteurs, ou sous leur impulsion, car de nombreux ouvrages académiques sont produits pour les zoos et les sociétés zoologiques qui les gouvernent. Le récit historique ainsi constitué donne souvent à lire un schéma téléologique marqué par le passage des ménageries princières de la fin du 18e siècle au jardin zoologique collectionnant les animaux des 19e-début 20e siècles, enfin à l’apogée des ‘centres de conservation’ en devenir du 21e siècle, invisibilisant le carcéral et la nervosité éthique associée. » (Pouillard 2019 / P2019)

On trouve quelques mentions de collections d’animaux pouvant vaguement s’apparenter à des zoos dans l’Antiquité, un peu partout dans le monde, mais l’histoire des zoos modernes occidentaux trouve plutôt ses origines au cours de la Renaissance. Si les zoos peuvent mentionner l’ancienneté de leur existence, et revendiquent avec fierté la tradition scientifique dans les zoos, il est en effet plus difficile de les faire parler du rôle des zoos dans le pillage des écosystèmes jusque dans les années 1970-1980. Hosey et al. (HMP2013) parlent bien de l’impact des Romains sur les espèces sauvages, mais ne disent rien sur les méthodes occidentales des 19e et 20e siècles, ni sur les taux de mortalité incroyablement hauts lors des captures et des transports d’animaux vers les zoos, ni même sur le lien direct avec le colonialisme (Baratay & Hardouin-Fugier 1998 / BHF1998).

16e-18e siècles – Des combats aux ménageries princières

Du 16e siècle au début du 18e siècle, les riches et les puissants se promènent avec des animaux « curieux » et organisent des combats improbables pour se défouler (éléphant contre rhinocéros, lion contre vache…). Au 18e siècle, les combats ayant été récupérés par le peuple avec la corrida ou les combats de chiens selon les pays, l’aristocratie s’en détourne, tout à continuant à se promener avec des animaux exotiques « d’apparat » dont la vie ne tient souvent qu’à un fil, les connaissances étant alors limitées sur leurs besoins. Ils mettent aussi en place de grands parcs utilisés notamment pour lâcher le gibier des chasses, et des « cabinets » regroupant divers objets et animaux exotiques (empaillés ou vivants). Lorsqu’ils sont dirigés par les aristocrates eux-mêmes, il s’agit presque de vitrines, où l’on trouve parfois également des humain·es, victimes de la même curiosité que les autres animaux. En revanche, lorsqu’ils sont dirigés par des savants, ces cabinets servent dès le 16e siècle à étudier les lois de la nature (ce qui se développe à partir de la révolution scientifique du 17e siècle). (BHF 1998)

Le nom « ménagerie » est repris à la fin du 17e siècle, notamment par l’Académie Française, pour désigner un « emplacement où les princes ‘tiennent des animaux étrangers et rares’ ». Au 18e siècle, on crée dans les grandes villes des ménageries fixes, dont les savants revendiquent la direction, pour pouvoir y mener des observations et des expériences (hybridations, repousse des membres…). Mais dès la seconde moitié du 18e siècle, on émet des doutes sur la validité des observations dans les ménageries, qui sont également critiquées pour les coûts qu’elles engendrent. « L’Encyclopédie proclame ainsi qu’il ‘faut détruire les ménageries lorsque les peuples manquent de pain ; il serait honteux de nourrir des bêtes à grands frais lorsqu’on a autour de soi des hommes qui meurent de faim’ ». (BHF1998)

Pendant la Révolution, des singes, cerfs et oiseaux, symboles de la tyrannie, sont livrés aux écorcheurs. Une partie de celleux qui restent formeront la base de la ménagerie du Jardin des Plantes à Paris (transformé en Muséum d’histoire naturelle en 1793). Il s’agira surtout des espèces herbivores, beaucoup moins attachées symboliquement à la royauté et à la violence. Alors que la critique de l’enfermement visible des animaux était quasiment absente jusqu’à la fin du 18e siècle, elle commence à s’y faire sentir, d’abord par cette association des ménageries avec la royauté, puis par comparaison avec les nouveaux aménagements. En effet, la combinaison des ménageries et des jardins botaniques donne lieu au 19e siècle à des arrangements nouveaux, dans lesquels les animaux se promènent en semi-liberté dans les jardins. C’est l’origine de l’expression « jardin zoologique », largement utilisée à partir du 20e siècle, en concurrence avec l’abréviation « zoo » en Angleterre. Les zoos se développent dès le 19e siècle dans tous les pays au même titre que les théâtres, musées et universités. (BHF1998)

19e siècle – De la taxinomie au divertissement

Au 19e siècle, les scientifiques continuent d’être impliqués, notamment au sein des sociétés zoologiques, qui gèrent leurs propres zoos ou les zoos des villes, n’hésitant pas à y accoler un musée d’histoire naturelle, un planétarium, voire parfois des balades à dos d’éléphant, de chameau ou de poney. Les sociétés commerciales assurent de cette manière le bonheur de leurs actionnaires, d’abord seuls admis sur les lieux. Mais dès le milieu du 19e siècle, le frisson de la nouveauté passé, les sociétés se voient obligées de commencer à admettre le public via une simple cotisation, et à renouveler constamment l’intérêt avec de la nouveauté (BHF1998).

Le questionnement scientifique a des répercussions positives, puisqu’il est en partie à l’origine des aménagements qui commencent au milieu du 19e siècle dans les jardins les plus fortunés (et à la fin du siècle au Jardin des Plantes), cherchant à donner aux animaux des contraintes moins évidentes (BHF1998). Avant cela, les animaux étaient classés dans des bâtiments dédiés aux carnivores, aux singes, aux reptiles, sans la moindre considération pour leurs origines ou leurs besoins. Les hivers amenaient donc leur lot de morts, notamment parmi les animaux habitués à des climats tropicaux et enfermés dans des bâtiments sans chauffage (P2019). Mais même avec les nouveaux aménagements, l’intérêt reste l’exposition au public (les cages et enclos extérieurs qui apparaissent sont souvent circulaires ou hexagonales, permettant au public d’encercler les animaux) et la facilité du travail des gardiens (les sols inclinés en pierre ou en ciment permettent aux excréments d’être évacués plus facilement) : « Comme le reconnaît le directeur du jardin de Marseille en 1861, les jardins sont faits pour les spectateurs et non pour les animaux » (BHF1998).

La ménagerie du Jardin des Plantes en 1902, est en retard sur la plupart des zoos.

La présence des visiteurses rompt éventuellement la monotonie de l’existence de l’animal, qui va alors aller chercher le contact, mais aussi la nourriture. De leur côté, les humain·es, dont la vision des animaux est faussée par les mises en scène anthropomorphiques des cirques, veulent voir un animal en pleine action, veulent interagir avec lui – quitte à, parfois, lui lancer des pierres, le frapper, lui donner des aliments empoisonnés ou piégés (BHF1998) – au point que le Garden Committee de la Société Zoologique de Londres produit des notices multilingues priant les visiteurses de ne pas « ennuyer, taquiner, irriter ou blesser » les animaux (P2019). Bien heureusement, ce type de violences devient de moins en moins fréquent dès les années 1920-1930 (BHF1998), et le nourrissage et les contacts directs sont progressivement interdits depuis les années 1950 (P2019).

Exotisme et colonialisme

Jusqu’au début du 20e siècle, les personnes noires et autres « non-blancs » étaient exposé·es dans les freak shows, présenté·es comme les « chaînons manquants » entre les singes et les hommes blancs, et parfois mis·es en cages au zoo avec les singes. L’Exposition Universelle de 1904 se présentait justement comme un zoo, exposant des personnes de diverses ethnies, capturées pour l’occasion, et justifiant leur présence par l’intérêt ethnologique, anatomique, par les études sur l’intelligence, sur les seuils de douleurs, mais aussi par le « darwinisme social », forme d’eugénisme assez courante à l’époque. Ota Benga a connu un certain succès, exposé dès 1906 dans la cage des singes au Zoo du Bronx, où le directeur disait qu’il était « bien traité et heureux », et qu’il était exposé « parce que le public veut le voir ». (West 2018)

Les populations humaines des colonies étaient utilisées de cette manière pour le spectacle, mais aussi pour fournir les animaux aux colons. Pourquoi un capteur européen se fatiguerait à chercher et à capturer des animaux, quand il peut commander aux populations locales, qui connaissent la région, de le faire pour lui ? (P2019).

20e siècle – Scénographies, guerres et débats

Carl Hagenbeck ouvre un zoo à Stellingen en 1907, qui reçoit les éloges de la presse grâce à une combinaison astucieuse de décors exotiques (des blocs de pierre peints en blanc pour représenter la banquise, par exemple) et d’une mise en scène effaçant les barreaux au profit d’autres dispositifs (mutilations, dressages, fossés…) empêchant les animaux de sortir, tout en donnant aux visiteurses une impression de plus grande liberté des animaux. Au début du 20e siècle, des zoos s’inspirent de cette scénographie qui a moins à voir avec le bien-être animal qu’avec les relations publiques. Les « rochers » permettent de dissimuler les cages et les locaux de service aux yeux du public, pour un spectacle plus immersif. Aujourd’hui encore, tout le décor du bâtiment des singes du zoo d’Anvers (des rochers aux arbres), inauguré en 1978, est réalisé en polyester, pour en faciliter le nettoyage. (P2019). 

D’autres zoos, inspirés par l’intérêt nouveau pour l’hygiène, construisent dans les années 1920-1930 des installations modernes en béton, facilement nettoyables, aux dépens du bien-être des animaux. « Il est regrettable que l’on puisse encore trouver aujourd’hui des cages de ce type dans de nombreux zoos européens » (HMP2013). À la même époque, des zoos se construisent dans les colonies, avec qui les zoos européens feront largement commerce. Avec la prise de conscience de la réduction des effectifs d’animaux dans les colonies, les réglementations sur la capture d’animaux se durcissent. Mais les commissions responsables de la gestion des animaux dans les colonies sont parfois administrées par les responsables de zoos, qui peuvent alors façonner la loi en leur faveur (P2019).

En parallèle, les guerres mondiales sont dévastatrices pour les animaux captifs des zoos. D’une part, parce que certains sont « enrôlés » en tant que mascottes ou dans une optique de militarisation. D’autre part, parce que les risques d’évasions liées aux bombardements font que les zoos tuent de manière préventive de nombreux animaux. « Le cheptel des mammifères et des oiseaux de la ménagerie du Jardin des Plantes, qui atteint 967 individus au 31 décembre 1913, est réduit à 329 captifs le 31 décembre 1918 ou 34 % ». La ménagerie demande donc au Ministre des Colonies d’intervenir pour lui permettre de récupérer en Indochine les animaux nécessaires à reconstituer le cheptel. Après la Seconde Guerre Mondiale, les permis devenant plus difficiles à obtenir, le zoo d’Anvers, par exemple, achète les animaux protégés à des braconniers en changeant les noms des espèces dans les documents d’exportation (P2019).

Les zoos continuent pourtant de se multiplier. À partir de 1950, les nouvelles ouvertures sont principalement des zoos privés, initiés par des particuliers. En 1969, la Société Zoologique de Londres déplore « ‘la prolifération très rapide et incontrôlée des zoos’, dont nombre sont coupables de ‘négligence’ ». Quant aux sociétés de protection des animaux, luttant contre les maltraitances envers les animaux domestiques tout en ayant un intérêt particulier pour le contact avec les animaux, elles dénoncent plus les conditions de captivité que la captivité elle-même. La RSPCA, par exemple, concentrée au début du 20e siècle sur la vivisection ou la chasse à courre, évite soigneusement de faire le lien entre les conditions cruelles de capture des animaux et les demandes des zoos. Après la Seconde Guerre Mondiale, le ton monte, avec des contributions écrites appelant radicalement à la fin des zoos, où les animaux vivent dans des milieux artificiels qui ne leur permettent pas de s’exprimer. (P2019)

Mais l’arrivée de nouveaux zoos plus modernes étouffe ces contestations en mettant en avant la distinction entre « bons » et « mauvais » zoos, notamment autour de la notion d’ « enrichissement » de l’environnement des animaux. Les « bons » s’allient alors avec les associations welfaristes pour combattre les « mauvais », trouvant par là une nouvelle justification de leur prospérité. La RSPCA participe même dans les années 1970 au transit des animaux vers les zoos, en les accueillant dans l’ « Air Hostel » à côté de l’aéroport de Londres. Sans aller jusqu’à la participation active, la position de la SPA française vis-à-vis des zoos est similaire. À partir de 1976, les particuliers doivent obtenir une autorisation d’ouverture et un certificat de capacité concernant les animaux détenus. Les « victoires » de ces associations depuis les années 1970 concernent donc plus la taille des cages ou leur contenu qu’elles ne remettent en cause la captivité. (P2019)

Mais si les critiques radicales s’étaient calmées au 19e siècle, elles reprennent alors de plus belle, alimentées par la critique postcoloniale et les mouvements écologistes et antispécistes, axés notamment sur le pillage de la faune et l’enfermement des animaux. Les zoos répondent en réformant leur vocabulaire, devenant des « parcs zoologiques » équipés de « terrasses », « pavillons » et autres « royaumes » (P2019). Ces critiques sont d’autant plus renforcées que la télévision (et aujourd’hui Internet) permet de voir les animaux dans leurs milieux naturels, et de se rendre compte que la nature n’est pas toujours aussi cruelle que les zoos avaient bien voulu le faire croire en affirmant en toute mauvaise foi que les animaux étaient protégés et vivaient plus longtemps dans les zoos (BHF1998).

Au fil du 20e siècle, de nouveaux concepts apparaissent, du « zoo réserve » dans les années 1930 (sous forme de grands parcs où les animaux sont en semi-liberté), au système de « cage inversée » (où le public est dans un véhicule qui circule dans le parc au milieu des animaux en semi-liberté), jusqu’à la création dans les années 1960-1980 des « parcs de vision », qui proposent au public de se déplacer dans un très grand espace pour chercher les animaux, qu’il ne sera même pas sûr de trouver (BHF1998).

Un autre billet sera dédié plus spécifiquement aux alternatives, mais on peut d’ores et déjà mentionner en France :

  • Elephant Haven (sanctuaire pour éléphant·es qui devrait bientôt accueillir ses premier·es rescapé·es) ;
  • REWILD (collaboration entre plusieurs associations de protection de la faune sauvage, notamment pour racheter le zoo de Pont Scorff afin de le transformer en centre de réhabilitation de la faune sauvage sauvée du trafic) ;
  • Code Animal (qui a lancé une pétition pour demander notamment la création de statuts juridiques pour les refuges et sanctuaires ainsi que la transformation des trois zoos publics de France en structures d’accueil de la faune sauvage captive).

Bibliographie

  • [BHF1998] BARATAY, Éric & HARDOUIN-FUGIER, Élisabeth (1998). Zoos – Histoire des jardins zoologiques en Occident (XVIeXXe siècles), Paris, la Découverte (édition Kindle 2013).
  • [HMP2013] HOSEY, Geoff, MELFY, Vicki, PANKHURST, Shejla (2013). Zoo Animals – behaviour, management and welfare – 2nd edition, Oxford University Press.
  • [P2019] POUILLARD, Violette (2019). Histoire des zoos par les animaux (Contrôle, conservation, impérialisme), Ceyzérieu, Champ Vallon (ePub).
  • WEST, John G. (2018). Human Zoos: America’s Forgotten History of Scientific Racism, documentaire, Discovery Institute. [en ligne sur Youtube]